"Je ne te laisserai jamais partir" : la sœur de Samuel Paty livre un témoignage poignant dans "Sept à Huit" | TF1 INFO (2025)

Quatre ans après l'assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, sa sœur, Mickaëlle, se bat pour faire vivre la mémoire de son frère.

Infirmière anesthésiste à l’hôpital, mère de deux enfants, elle n’était pas prédestinée à porter cette parole.

Elle est "Le Portrait de la Semaine" d'Audrey Crespo-Mara ce dimanche 13 octobre, dans "Sept à Huit".

Il y a des anniversaires que l'on n'aimerait jamais souhaiter. Ce 16 octobre, cela fera quatre ans que Samuel Paty , professeur d'histoire-géographie au collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, a été poignardé et décapité par un jeune islamiste radicalisé . Ce jour-là, sa sœur Mickaëlle, infirmière anesthésiste à l'hôpital, se trouvait "au bloc opératoire" lorsque "peu après 20 heures", sa mère lui a envoyé un SMS. Un message terrible qu'elle n'a jamais supprimé, et qu'elle montre à la caméra. Il est écrit : "Samuel vient peut-être de se faire tuer devant son collège". "Ce 'peut-être' était un peu surréaliste. On met rarement le mot 'peut-être' devant le mot 'tuer'. Donc, à ce moment-là, j'étais pas sûre qu'il soit tué ou simplement blessé", se souvient-elle face à Audrey Crespo-Mara, au cours de l'entretien que l'on peut retrouver ci-dessus.

Éveiller l'esprit critique

Malgré le doute, sur lequel elle a désespérément envie de se raccrocher, Mickaëlle doit se résoudre au pire. "Avant de raccrocher, ma mère me dit : 'ils lui ont coupé la tête'. Je réalise tout de suite ce que cette phrase veut dire (...) On nous a convié à aller voir son corps à la chambre mortuaire de l'Institut Médico-légale (...) Un drap blanc était volontairement remonté à la racine de son cou pour cacher la marque de sa décapitation. Là, je ne l'ai pas reconnu. Il avait des plaies partout sur le visage. Et puis, j'avais pas envie de le reconnaître en fait (...) Jusqu'au bout, j'ai essayé de pousser la dernière chance que ce ne soit pas lui", admet-elle.

Aujourd'hui, Mickaëlle n'a qu'une seule obsession : faire vivre la mémoire de son frère ainé. Car finalement, à part une unique photo, que sait-on vraiment de Samuel Paty ? La jeune femme tente alors d'esquisser un portrait faisant appel à ses souvenirs d'enfance. "On était toujours à débattre, il faut dire que Samuel aimait particulièrement ça. Et moi, j'aimais bien en découdre avec lui parce qu'il avait toujours plus d'arguments que moi, ce qui me mettait dans une colère noire", se remémore-t-elle. Et de poursuivre : "C'était quelqu'un d'assez introverti, tourné vers les matières littéraires (...) Il adorait aussi les parties d'échecs et il gagnait tout le temps. Mais parfois, il jouait son rôle de grand frère et me laissait gagner", s'amuse-t-elle.

Mickaëlle décrit aussi un homme devenu père sur le tard, "incapable de dire non", le qualifiant de "papa poule". Quant à son métier de professeur, "il l'a choisi", assure-t-elle, ajoutant qu'il avait une préférence "pour les élèves de collège". "Il voyait bien que c'était l'âge où on est en pleine formation et pour lequel on peut apporter le plus pour éveiller leur esprit critique. Il faisait énormément de débats parce qu'il savait qu'en faisant ça, il les incitait à réfléchir. Il en tirait une grande satisfaction", affirme-t-elle, précisant que "ce n'était pas quelqu'un qui essayait de marteler et qu'il avait cette foi dans l'école chevillée au corps".

Aujourd'hui, il faut que j'arrive à le maintenir en vie par tous les moyens.

Mickaëlle Paty

Pour que son souvenir ne disparaisse pas, Mickaëlle a fait une promesse à son frère au crématorium : "Je ne te laisserai jamais partir", lui a-t-elle soufflé. Et jusqu'à maintenant, elle tient sa promesse. "Je n'ai pas attaqué le processus de deuil. Je ne suis pas sûre de l'attaquer un jour. Aujourd'hui, il faut que j'arrive à le maintenir en vie par tous les moyens". Et cela passe notamment par la publication d'un livre : "Le cours de monsieur Paty" (Ed. Albin Michel), dans laquelle elle mène l'enquête sur les 11 jours de l'engrenage infernal qui a précédé le drame . En s'attelant d'abord à éplucher les procès-verbaux qui ont été rédigés, puis en ayant accès à son cours. "Je me suis ensuite arrangée pour être en contact avec la principale de l'établissement et à prendre attache avec certains professeurs sur place", détaille-t-elle.

La jeune femme se plonge également dans le carnet de notes où Samuel Paty annotait tout, et particulièrement le fameux cours du 5 octobre 2020, consacré à la liberté d'expression, qu'il avait donné à ses élèves de quatrième et pour lequel il mourra . "Pour étayer son cours, il va proposer de regarder trois caricatures émanant de Charlie Hebdo, et avant, il précise bien que ceux qui ne veulent pas regarder peuvent sortir quelques instants", explique Mickaëlle. Malgré tout, c'est le début de l'engrenage puisqu'une de ses élèves, exclue pour "ses problèmes de comportement", va mentir et expliquer à ses parents qu'elle l'a été par la volonté de son professeur d'histoire, car elle ne voulait pas voir ces caricatures. "Son père va exprimer haut et fort son mécontentement et il va divulguer l'identité de mon frère et la localisation du collège (...) Il va exiger symboliquement la tête de mon frère, en demandant qu'il y ait des sentences qui soient rapidement tombées contre lui", souligne-t-elle.

Des menaces s'ensuivent jusqu'au jour fatal . "Je pense qu'il était convaincu que les choses étaient mises en place pour lui, pour sa sécurité, parce qu'on lui a dit (...) Eux aussi ont menti", assure la sœur de Samuel Paty.

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Après le meurtre de Samuel Paty, une enquête administrative est aussitôt demandée par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Éducation de l'époque. La conclusion est que "nul n'a failli", ce qui révulse Mickaëlle. "Ce qui a été le plus difficile pour moi, c'est que globalement ça faisait passer mon frère pour quelqu'un de naïf, ce qu'il n'était absolument pas. Et qu'il était un peu responsable des événements", s'insurge-t-elle. Ce qui l'oblige à attaquer l'État , "à défaut de réponses de l'État", tient-elle à préciser.

Le mois prochain, une autre étape l'attend, avec le procès des huit adultes accusés d'être impliqués dans l'assassinat de Samuel Paty. Parmi eux, le père de l'élève qui a mis le feu aux poudres et le militant islamiste qui l'accompagnait. Ils seront jugés pour "association de malfaiteurs terroristes". "Je n'attends pas grand-chose des accusés. Ce que je crains le plus, c'est qu'au moment du procès, les avocats de l'islamiste adoptent une posture victimaire et que cela devienne le procès d'un État islamophobe", appréhende-t-elle.

En attendant, "pour continuer ce que faisait Samuel", Mickaëlle va désormais dans les écoles. "Il créait des citoyens, c'est à ce moment-là que j'ai compris qu'il fallait que j'en sois une. Je le remplace un peu", avance-t-elle. Ce lundi 14 octobre, un hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard (professeur agrégé de lettres modernes de 57 ans, assassiné le 13 octobre 2023) sera rendu et une minute de silence respectée aux noms des enseignants assassinés. Un impératif pour la sœur de Samuel. Lui qui disait de son vivant : "je voudrais que ma vie et ma mort servent à quelque chose".